Les figures de l’étranger : stéréotypes et représentations
Les situations d’interculturalité conduisent à vouloir hiérarchiser les façons de faire et de se représenter le monde. On assiste aujourd’hui à une intensification des phénomènes de replis identitaires et à la transformation de différences en inégalités. Penser l’altérité ne va pas de soi et le recours à l’anthropologie peut s’avérer très pertinent pour comprendre les mécanismes en place dans la construction des stéréotypes et des représentations de l’étranger, dont le visage change au gré du temps et des sociétés.
Des fonctions cognitives et sociales
Tout être humain use de stéréotypes. Ils nous sont nécessaires d’un point de vue cognitif. Notre cerveau est en permanence soumis à une masse d’informations qui lui parviennent sous la forme de sons, d’images, d’odeurs, de sensations… Afin de ne pas être submergé, il procède à une catégorisation de ces données. Celle-ci passe par une simplification des informations et a pour conséquence la création de stéréotypes. Ils fonctionnent alors comme des repères pour comprendre le monde et s’y situer. Aussi est-il difficile de se départir de ces croyances, d’autant plus qu’elles font partie de notre héritage culturel au même titre que les normes, les valeurs, les habitudes ou les façons de faire. On les acquiert au contact de tous les groupes auxquels nous appartenons à un moment ou un autre de notre existence : familial, amical, professionnel, confessionnel, politique… Les médias et la publicité sont également de puissants vecteurs de diffusion des stéréotypes. Ces croyances ont de nombreuses fonctions sociales : en catégorisant les « autres », elles permettent de définir les contours d’un « nous ». En les stigmatisant, elles valorisent l’appartenance au groupe. En accentuant les similitudes de ses membres, elles renforcent la cohésion sociale. Celle-ci se fait toutefois au détriment des personnes extérieures au groupe. Les stéréotypes justifient ainsi les attitudes discriminatoires, racistes et xénophobes.
Déconstruire les stéréotypes
La déconstruction des stéréotypes par l’analyse historique, sociologique et psychologique permet de rendre compte de leur dangerosité et des modalités de leur fonctionnement. Mais, si la connaissance des conditions d’émergence des stéréotypes et l’analyse de leurs enjeux sociaux et politiques (dans le cadre de l’histoire de la shoah ou de la colonisation par exemple) sont indispensables, elles demeurent insuffisantes pour transformer durablement les attitudes et représentations des adolescents. Il peut être fructueux d’organiser des rencontres avec des membres des communautés stigmatisées, car les stéréotypes sont généralement fondés sur une méconnaissance de l’autre. De nombreux jeunes rencontrés en classe, porteurs de stéréotypes virulents à l’égard des Gitans par exemple, reconnaissent n’en avoir jamais côtoyés. Un projet qui permettrait à ces élèves de coopérer avec de jeunes membres de cette communauté peut aider à dépasser ces croyances. Mais il n’est pas acquis que la remise en cause concerne l’ensemble du groupe ( « Les Gitans sont des voleurs mais toi ce n’est pas pareil »). La lutte contre ces croyances est d’autant plus délicate que les élèves ont généralement compris que leurs professeurs s’opposent à ce type de catégorisation. Le recours aux stéréotypes – notamment concernant l’origine, la religion, la nationalité, le sexe ou l’orientation sexuelle – peut être pour certains jeunes un moyen de s’opposer au corps enseignant et de le provoquer. De nombreux élèves font d’ailleurs preuve de distance dans leur usage de ces stéréotypes. Ils les utilisent lors de joutes verbales avec leurs camarades ou à travers les blagues qu’ils se racontent, mais se révèlent capables d’analyse et d’esprit critique quant à leurs contenus. On peut d’ailleurs se demander jusqu’à quel point il convient de s’attaquer à ces stéréotypes. Dans le cadre de ce que les psychologues nomment le « processus adolescence », les jeunes sont en pleine phase de construction de leur identité, ce qui suppose une nécessaire différenciation. Celle-ci passe souvent par l’intégration à un groupe qui apporte soutien et reconnaissance des pairs. Or, chaque groupe se définit par comparaison voire par opposition à d’autres groupes au sujet desquels il produit des stéréotypes. Il nous semble donc illusoire de vouloir éradiquer totalement ces représentations. Nous visons plutôt à en atténuer les effets en donnant aux élèves les raisons et les moyens de les interroger.
Miroir, mon terrible miroir
Lors de nos ateliers, nous abordons autant les stéréotypes dont les élèves sont victimes que ceux qu’ils produisent. Si les premiers les choquent souvent, ils trouvent toujours des justifications aux seconds. En nous appuyant sur des stéréotypes qui les touchent directement, en les renvoyant à leurs propres stéréotypes, en débattant avec les élèves sur les enjeux et modalités de leur fonctionnement, nous développons l’idée que nous ne pouvons combattre efficacement ces croyances sans lutter contre tous les stéréotypes en général, et contre le recours même aux stéréotypes en tant que mode de pensée. Nous insistons alors sur l’effort quotidien et permanent que cela suppose. Certains élèves se disent découragés par l’ampleur de la tâche et l’improbabilité de l’éradication de ces croyances. Aussi concluons-nous généralement ces séances en soulignant le chemin parcouru en France lors du siècle passé en matière de lutte contre le racisme et les discriminations, désormais interdits par la loi, et en insistant sur la nécessité de poursuivre ces combats citoyens.